Comment ? Un certain Bruno D. en première année me disait, « Anouck, la peinture, ce n’est pas votre truc ? » J’avais hoché la tête en guise de Oui… Effectivement, je ne m’étais pas illustrée par la qualité de mon travail en dessin de plâtre à ce moment là, en y mettant toute ma bonne volonté, je n’avais pas atteint la moyenne au cour de l’année ; et lorsque cette deuxième année a débuté, j’appréhendai vraiment.
Allais-je être à la hauteur ? Le cadrage, la perspective, les compositions, les techniques (fusain, craie blanche et pierre noire, pastels, aquarelle, acrylique). J’avais le sentiment qu’à peine une nouvelle technique mise en œuvre, alors que j’arrivais petit à petit à progresser, il fallait déjà changer de technique… comme un éternel recommencement, Sisyphe, qui remonte sans cesse au dessus de la montagne ?
Finalement en s’armant de patiente, et sans doute guidée par les bons conseils des professeurs et de mes camarades, je me suis petit à petit améliorée ; le coup d’œil et le cadrage, le choix de ce vers quoi je voudrais tendre, se sont déjà plus affirmés. Le coup de pinceau est encore maladroit et la qualité du dessein pourrait encore s’affiner, mais j’avance .
Jusqu’à Oh Surprise, ce dernier cours lors duquel je suis arrivée avec presque une heure de retard, les deux classes au complet s’étaient installées dans le couloir central autour des voitures de collection, les chevalets disposés un peu partout, des plâtres sur des colonnes, chacun choisissait son point de vue et sa composition.

Je me suis sentie abattue, et perplexe, la perspective de peindre des voitures dans le couloir ne m’enchantait guère, je suis donc allée comme d’habitude dans la salle double qui accueille ce cour de dessin de plâtre… Il n’y a que deux à trois élèves dans cet espace vide, et seuls les poteaux aux couleurs vives datant du temps où ce lieu était une usine Berlier / Renault véhicule industriel … ressortaient vraiment.
Paul avait disposé une copie en plâtre du Tireur d’épine, il m’est apparu de dos, assis

Tireur d’épine, de Abel DIMIER, Musée des Beaux Arts de Lyon
entre le mur et le poteau orangé, sa tête semblait s’appuyer contre ce dernier. Cette vision m’a tout de suite plue, comme si le temps était suspendu, cet enfant penché sur lui-même, à quoi rêve-t-il ?
Je ne sais pas mais je me suis sentie touchée. Et je suis restée là pour commencer mon travail, disposer mon chevalet, enduire de gesso mon carton format demi-grand aigle ; le carton gondole, j’en mets des deux côtés … il se redresse. J’ai chaud, je doute. Je compose ma palette et par touche je dessine les contours de l’enfant de dos, le poteau, les boulons et écrous… les ombres et les lumières.
La lumière change entre le matin et l’après-midi, il faut adapter les tons sur le tableau, ce bleuté gris, cet orangé, il y a du bleu dans le gris et de l’orange dans le bleu … pfouh ! Finalement, ce n’est pas si mal. Il a le dos trop tordu, je le redresse un peu ; l’ombre sur le poteau n’est pas assez contrastée, je repasse un peu de gris, ça le fait ! Je le rends comme cela, je retourne à la voiture, et reprends ma route comme tous les soirs, le sentiment du devoir accompli et pas si mécontente de moi ; je devrais avoir la moyenne (!, je suis très scolaire, j’aime bien avoir une bonne note !, mais juste un peu plus que la fois précédente SVP, un petit progrès, c’est tout ce que je demande :).

Le cours suivant lorsque les profs rendent les travaux, je cherche dans la première pile, je n’y suis pas, dans la seconde non plus … je vais réclamer auprès du prof :
– « Monsieur », -car je suis très polie auprès de mes professeurs même s’ils ont 20 ans de moins que moi- je ne trouve pas le mien ? »,
– c’est le tireur d’épine avec le poteau orange ? Je l’ai gardé.
– Ah bon , OK, merci….
J’ai dû rougir d’étonnement, et de plaisir aussi, trop contente de moi… Mon seul travail de l’année qui a été gardé pour être exposé dans le couloir, et pour l’exposition de fin d’année de surcroît ! les jours suivants je suis passée dans le couloir pour voir mon tableau, mais il n’y était pas ; j’ai fini par me dire que bon il l’a gardé mais pour le montrer aux élèves l’an prochain, un peu déçue sans doute pour mon amour propre !
Finalement, le 22 juin dernier, je suis allée à la soirée organisée pour la remise des diplômes des 3èmes années d’Emile COHL et des élèves muralistes d’Ecohl CIté, et le vernissage de l’exposition de fin d’année ; avec Isabel Maïna, nous avons fait le tour depuis le couloir des prépa, jusqu’aux travaux des 4ème années, mais il y avait trop de monde à l’endroit des dessins de plâtre des 2ème année .. , nous avons continué la visite et attendu que la foule se disperse un peu … et là : quel plaisir et fierté, j’ai posé sous mon tableau pour immortaliser ce moment (fugace) 🙂 j’y étais, mon seul travail de l’année, pas mal non ?